Faire parler les montagnes
Initiation chamanique dans les Andes Péruviennes
Édition Armand Colin, 2011, 350 pages
Chaque soir dans la région de Cuzco, au Pérou, le chaman don Carlos convoque ses esprits auxiliaires au cours d'une réunion à laquelle prennent part quelques habitués, des patients et leurs familles. Ces doubles immatériels de la terre et des montagnes, apu et pachamama, surgissent alors, tels des oiseaux, par quelques battements d'ailes, dans la pièce cérémonielle plongée dans une obscurité complète. Ce rituel est celui de la mesa, au cours duquel le chaman "s'envole" pour se poser sur une table et s'entretenir, sous une identité autre que celle de la personne sociale, avec les participants.
Fruit de plusieurs années de recherches menées au sein de contextes (ville / campagne) et de milieux socio-économiques différents, Faire parler les montagnes propose, à travers le récit du parcours initiatique d'un jeune métis, une lecture inédite de l'espace à la fois géographique et symbolique des Andes péruviennes.
L'étude de la mesa, comme expérience de l'émergence du "monde-autre", révèle ainsi les représentations collectives et les savoirs qui permettent aux hommes de gérer l'aléatoire, et vient renouveler la compréhension du chamanisme andin.
Introduction
Chaque soir, dans les Andes cuzquéniennes, le chaman don Carlos convoque ses esprits auxiliaires au cours d'une réunion, parfois un banquet, à laquelle prennent part quelques habitués, des patients et leurs familles. Thérapeutes de l'âme et du corps, les doubles immatériels de la terre et des montagnes de la cordillère andine, appelés pachamama et apu, entrent dans la salle cérémonielle plongée dans une obscurité complète, par quelques battements d'ailes, tels des oiseaux. C'est le rituel de la mesa qui voit, selon une perspective différente, une femme ou un homme "s'envoler" pour se poser sur une table (la mesa) et s'entretenir, sous une identité autre que celle de la personne sociale, avec les participants qui ne croient ni ne doutent, mais donnent sa chance au rituel [Hamayon, 1997].
Je me suis beaucoup interrogé sur cette expérience à laquelle j'ai assisté de nombreuses fois. Le chaman "saute-t-il" sur la table, comme le laisse entendre don Carlos ? Quel sens devons-nous donner au verbe "sauter" dans ce contexte ou, pour le dire autrement, quelle est la place de ce rituel dans la religiosité andine ?
La salle étant plongée dans l'obscurité - en aucune manière, je n'aurais brisé l'interdit d'allumer une quelconque source lumineuse -, j'ai dû m'en remettre à mes autres sens et au discours tenu par les différents acteurs de cette mise en scène, très théâtrale, d'un imaginaire partagé par les locuteurs quechua de la région de Cuzco (Pérou), citadins et habitants des communautés paysannes amérindiennes. En effet, bien qu'observé en milieu urbain, à Cuzco ou Sicuani, le rituel, pour se comprendre, doit être replacé dans un contexte plus large qui englobe pratiques et représentations ayant cours dans les campagnes, parmi les pasteurs et agriculteurs de Chahuaytiri et Chinchaypucyo, par exemple.
À cet égard, ce livre est le résultat de plusieurs années de recherches, effectuées entre 1998 et 2008 au sein de milieux socio-économiques différents, prétexte à des identifications sociales multiples. Animé par la volonté constante de mettre en avant la parole de ceux qui expérimentent, mon récit vise d'abord à tisser un lien entre ces discours, à les replacer dans un contexte et à les détailler dans le dessein de susciter de nouvelles compréhensions du chamanisme andin.
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Recensions
Nuevo Mundo, Mundos Nuevos, 2014, par Carmen Bernand (texte en ligne)
Revue des Sciences Sociales, 50, 2013, par Éric Navet (texte en pdf)